lundi 21 mai 2012

Notre besoin de consommation est impossible à rassasier.

Etant gamin, comme tous les gamins le soir dans mon lit avant de m'endormir, ma hantise s'incarnait dans ce concept que l'on met toute une vie à appréhender : la mort. Inutile de dire que l'imagerie religieuse mettant en scène cette disparition irrationnelle était telle une collection de films d'horreurs à laquelle j'avais accès bien malgré moi. Sommet des atrocités : la danse macabre de la chapelle de Kermaria-an-Iskuit (ci-dessous). Loin d'y voir une égalité dans la mort entre riches et pauvres, j'y voyais surtout la muse de mes plus sombres cauchemars de gosse !

Le plus étrange, encore qu'à y réfléchir cela reste très cohérent, était que la manifestation du refuge où aucune pensées funèbres ne pouvaient m'atteindre s'incarnait dans ... le supermarché ! Imaginez donc le contraste avec l'austérité catholique : des gens qui s'animent, des lumières omniprésentes, des couleurs de partout, des annonces tout azimut et surtout un incessant appel à satisfaire notre vide spirituel par le consumérisme ! Oui, étant gamin, le soir en m'endormant, je fermais les yeux bien fort et me réfugiais chez Leclerc ou Mammouth entre le rayon sucreries et celui du p'tit déj où un grand blond costaud mâchant des chewing-gum roses et un gros bonhomme jaune répondant au nom de Groquik savaient m'éviter l'évocation d'existentielles questions. Ces dernières ayant la fâcheuse habitude de nous rapporter à notre existence, laquelle ayant irrémédiablement une fin. Fin que je n'étais pas encore en âge d'affronter étant minot.


Cependant telle une addiction sans cesse croissante il arrive un temps où le besoin de consommation est impossible à rassasier ... pour éviter le retour de ces sombres pensées ! Alors on s'arme de courage, on constate les défections de Groquik et du body-builder mâcheur de chewing-gum (salauds !) et on fait face à l'existence et à ses insoutenables inconnues. Difficile d'être né dans une époque où la science n'est pas encore parvenue à nous expliquer ce que nous faisons là et où le pouvoir d'achat est incapable de suffisamment satisfaire notre candeur d'être jouisseur sans conscience, trop désireux d'oublier ce qu'il est réellement : un être de doutes et de peurs.

C'est pourtant là que je me suis épanouis et éveillé en tant qu'être humain . C'est là que j'ai réalisé que c'est bien notre présence éphémère qui nous rend si précieux. Je suis alors sorti de l'enfance, apprenant à apprivoiser mes peurs. J'ai enfin osé sonder notre insignifiante unicité qui tient du miracle en émaillant mon existence des éternels questionnements nous concernant. La seule certitude : la mort. Et c'est bien elle qui donne le sel de la vie ! Un de ces cons d'elfes immortels ne saurait comprendre.

Mais aussitôt cette révélation faite voilà qu'une nouvelle frayeur se manifeste : l'incroyable vide que Groquik et Malabar savaient si bien cacher ! A cet instant précis je ne crains plus les chapelles, églises, cimetières et autres édifices. En revanche les temples de la consommation m'épouvantent par leurs artifices et efforts déployés afin de nous réduire à de simples pulsions sans passions. L'angoisse du néant qui ne résume la vie qu'à de vaines tentatives d'habiller le vide, c'est terrifiant ! Malabar et Groquik sont des armes de distraction massives, ils osent se moquer d'un être si complexe en l'affadissant de leurs fadaises. J'en viens à ce triste constat qu'il y a autant de considérations pour l'être humain dans un supermarché que dans le regard de la dame de fer pour un gréviste de la faim irlandais à l'agonie dans une prison britannique.


Aujourd'hui quand je prends le temps d'apprécier une église et son enclos paroissial telle que celle de Lanloup ci-dessus, c'est bien au delà d'un charme si caractéristique que je trouve de l'intérêt à ces vieilles pierres. N'étant absolument pas croyant, je suis d'autant plus curieux de repenser à tous ceux qui m'ont précédé sur les sentiers du doute. Même si je ne les partage pas, j'admire toutes ces formes d'apprivoisement de cette folie originelle que provoquent la mort et nos oppressantes incertitudes chez tous ces enfants perdus. Je reprends leur quête de l'apaisement de l'espèce là où ils l'ont laissée et j'espère apporter moi même ma vieille pierre à l'édifice afin que notre besoin de consolation puisse un jour se rassasier. Ce qui est certain dans tous les cas, c'est qu'aujourd'hui, un psychopathe armé d'une tronçonneuse déguisé en bouteille de soda m'effraie bien plus qu'un instant face à moi même à me dire que d'ici à ce qu'elle se termine, ma vie est bien trop précieuse pour que je la perde dans une grande surface.

6 commentaires:

  1. Très belle digression philosophique que tu nous sers là. L'approche est intéressante mais ca reste étonnant que tu réussisses à évoquer les grandes surfaces et les FTN fluos et ultra-modernes, à côté des édifices religieux ternes et anciens. (Je tiens à préciser la neutralité de mon commentaire en cela qu-il n'y a aucun jugement de valeur quant aux moderne ou aux vieilles pierres).

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    1. L'ultra-modernité qui doit répondre aux pulsions de l'individu face à la vieille pierre qui communie au sein des société humaines ?
      Nous n'avons fait que déconstruire le collectif pour glorifier l'individu qui dans son ego sans égal ne peut trouver du lien que dans les réseaux ... Pour le meilleur, comme pour le pire.

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  2. Entre dévotion et consommation, les hommes se rencontrent et s'assemblent pour donner vie aux reflets de ces échanges. De la beauté artistique des chapelles à la praticité des supermarchés, les monuments sont les vestiges de nos actes et pensées. Ces actes, assimilés à des réflexes sociaux et normatifs, ne semblent malheureusement pas relever d'une réflexion commune et personnelle. C'est pourquoi, Mathieu, je te remercie aujourd'hui pour tes mots qui nous interrogent, nous secouent telle la houle et nous rappellent à l'essentiel.

    P.S : "Je peux même m’affranchir du pouvoir de la mort. Il est vrai que je ne peux me libérer de l’idée que la mort marche sur mes talons et encore moins nier sa réalité. Mais je peux réduire à néant la menace qu’elle constitue en me dispensant d’accrocher ma vie à des points d’appui aussi précaires que le temps et la gloire."

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    1. Merci Bleuen. J'ai envie de compléter ta citation avec ce lien :

      http://www.dailymotion.com/video/x56aua_tetes-raides-notre-besoin-de-consol_music

      Merci à l'ami Stig'acteur de ce morceau :)

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  3. Salut Mathieu, merci pour ton article.
    Mais à mon avis, si un bâtiment de grande surface n'a pas le charme d'une église, il n'a peut-être pas nécessité non plus autant de souffrance dans sa construction. Nous avons aujourd'hui des constructions plus immondes les unes que les autres mais elles sont bâtie grâce à la consommation des gens, c'est à dire au libre arbitre de chacun-(En apparence en tout cas). Derrière la majesté d'une cathédrale se cache l'oppression pernicieuse des laborieux par le clergé !
    Patrimoine commun en déconstruction d'un côté, laideur affichée de l'autre, mais aussi moins de torpeur, d'impôt sur les plus faibles pour réaliser de splendides constructions divines. C'est pourquoi notre vie est certes trop précieuse pour la perdre dans une grande surface, mais nous n'avons plus à payer la dîme pour construire ces grands artifices: Lorsque les récoltes étaient maigres, il fallait quand même payer l'impot. Aujourd'hui nous n'avons plus à attendre la fin du chemin de croix pour espérer la liberation des âmes, nous avons le paradis à portée de main, maintenant, par le biais du plaisir immédiat: la consommation. Celle-ci a remplacé la religion. Le plaisir se succède à la souffrance..." Notre besoin de consommation est impossible à rassasier", ne serait-ce pas tout simplement notre désir de liberté qu'on ne peut rassasier ? Mais l'apparence du libre arbitre qu'impose une société de consommation est en fait une société qui, de par ses consommations, se bride peu à peu dans la materialité. Elle prive d'abord les uns, puisque le libre arbitre engendre les inégalités, puis asservit les autres et devient peu à peu liberticide.

    Que choisir ? Pas ce magazine consumériste en tout cas. A+ Mathieu, continue d'écrire tes billets et de prendre ses jolies photos, c'est quand même un plaisir pour les Plouhatins ou paraplouhatins que nous sommes.

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    1. Nous avons troqué une soumission à la peur de l'enfer à une soumission à nos pulsions ... aucune des deux ne me convient certes, mais en effet nous sommes loin d'être libres dans une société marchande qui se dit libérale ...

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