La croissance est devenue la voie auréolée de notre parcours vers la félicitée céleste. Le PIB qui la mesure est quant à lui devenu le maître étalon de notre compétition engagée pour atteindre le nirvana capitaliste, celui qui qualifie ou disqualifie nos modes de vie ... et d'agonie.
Le salut éternel passe par la croissance c'est écrit !
Seuls s'obstinent de vils païens survivants d'hérésies matées par les croisés aux tabards dollarisés et quelques infidèles pressés par leur croyance à ne plus croitre préférant ne plus croire en la croissance. Hérétiques !
Certes, ces vérités sont inaccessibles au commun des mortels besogneux, à ces pauvres âmes condamnées à vivre dans l'ombre des lumineuses évangiles selon Hayek, Smith, Friedman-Pinochet ou Laurence P. Heureusement ils sont nombreux ces dévoués au Saint Marché à l'efficience absolue pour décrypter le néo-latin globalisé. Les amères homélies du FMI et autres harangues de foi foisonnent : taux directeurs, CDS, BCE, spreads, banque mondiale, flexisécurité, titrisation, Nasdaq, subprime, Fitch ratings, CAC40, eurobons et Dow Jones, vous n'y comprenez rien ?
Qu'importe, croyez-nous le paradis terrestre n'est pas loin moyennant quelques chemins de croix et sacrifices. D'ici là besognez, consommez et sommez vos prochains à faire de même. Amen !
Pourtant ce matin en me baladant, j'ai entraperçu une autre forme de félicitée terrestre. Et j'ai eu beau me retourner la tête dans tous les sens, je ne crois pas que cette forme de bonheur ait été prise en compte d'aucune manière que ce soit dans le sacro-saint Produit Intérieur Brut de notre pays !
Mince alors, existerait-il un bonheur non-marchand échappant au Marché ?
Les pensées hérétiques m'envahissaient à mesure que je m'approchais du viaduc de Blanchardeau découvrant une végétation luxuriante qui reprenait ses droits sur un ouvrage d'art sorti depuis belle lurette du calcul de notre PIB national.
La croissance en serment, tous les ans, avec les dents, sans les allemands, en y courant, en y croyant, toujours croissant, bigger, stronger, faster !
C'est écrit j'vous dit !
Oui, mais ce matin du moins, je m'en moquais bien.
Et aussi scandaleux que cela puisse paraître, je n'avais pas l'impression de devoir croître sans raison pour être heureux.
Ô sinistre plaisir impie !
Certes pendant ce temps des chinois assemblaient des milliers d'Iphone et mon temps perdu à lanterner était autant d'angoisses manifestes pour Laurence P, plongée qu'elle est dans la compétition. Mais dans ma quiétude bucolique, j'étais bien en peine à m'imaginer affronter un effrayant chinois anonyme incapable d'apprécier et de partager mon paradis sans yuan.
C'est ainsi que l'apostasie me saisit ! Oui, le Pi Aïe Bi nous confronte, nous hiérarchise, nous dégrade, régit nos vies, nous réduit à une compétition dont je n'ai souvenir ni de l'origine ni de la cause bien que j'en observe et subisse les conséquences malheureuses.
Ce calcul d'un cumul de richesses produites, représentant notre cheminement dans notre quête de l'épanouissement humain, n'est même pas foutu d'intégrer le bonheur que procure une simple balade aux abords du Leff près d'un viaduc abandonné.
Dès lors j'en viens à me demander qui a eu cette lumineuse idée de décider des grandes orientations de l'humanité par rapport à cet artifice fallacieusement ficelé ? Quel étonnement y a-t-il à constater tant de désespoir et d'atrocités dans notre "prospérité" ? Ce Produit de Brutes est une farce, une abstraction creuse de l'esprit vide qui mesure le néant de nos sensibilités.
Il y a des choses qui ne s'achètent pas nous dit la publicité, tout le reste rentre dans le PIB. Une croissance qui fait l'impasse sur tout ce qui ne peut s'acheter, à quoi bon en faire une fin en soi ?
Il y a des choses qui ne s'achètent pas nous dit la publicité, tout le reste rentre dans le PIB. Une croissance qui fait l'impasse sur tout ce qui ne peut s'acheter, à quoi bon en faire une fin en soi ?
En libre-penseur vadrouilleur, je continuerai donc mes pérégrinations improductives en clamant qu'une autre croissance est possible à travers un nouveau modèle de PIB : le Produit Intégrant le Bonheur.
J'invite chacun à en jouir en dehors des diktats de l'église économique afin de réaliser toujours plus de gains de productivité dans le véritable épanouissement de l'être humain.
Et dans cette compétition passionnée, je suis persuadé que le chinois capable de se réaliser ailleurs que derrière une chaîne de montage, retrouverait aussitôt un aspect bien plus humain à mes yeux.
Assez rêvé : ce billet est terminé, veuillez retourner contribuer à la croissance illimitée !