dimanche 16 juin 2013

Gandalf, Bilbon, Frodon et la décence commune de George Orwell

Alors qu'il s'ouvre à dame Galadriel envers qui il est vain de vouloir cacher nos sensibilités profondes, Gandalf le gris, après une réunion des grands des Terres du Milieu  à Fondcombe (l'équivalent du G8 pour situer les choses) déclare ceci :

"Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal. De simples actes de bonté et d'amour."
Gandalf à Galadriel.

Une ode à la décence commune s'il en est !

Ces paroles sont issues du film "Le Hobbit" de Peter Jackson, sorti sur les écrans en décembre dernier. Ayant lu l'oeuvre originelle il y a de ça bien des années (j'en remercie Kefro et Mary au passage), je n'ai plus le souvenir de l'authenticité de ces propos dans le livre. Ceci étant, de Tolkien à Orwell, il y a une forme de conservatisme incarné dans la Comté ou la campagne anglaise et un goût des choses simples de la vie paisible des hobbits à celle des gens ordinaires, qui me laisse entendre que les véritables héros de Tolkien pourraient être des incarnations de cette common decency si chère à Orwell.


"C'est aimable à vous de nous recevoir, je ne suis pas vêtu pour un dîner." s'excusa Gandalf.
"Mais vous ne l'êtes jamais.", lui répondit Elrond, seigneur de Fondcombe.

D'ailleurs, lorsque Bruce Bégout nous explique que la décence ordinaire s'inscrit avant tout dans un vécu commun, qui en exclut de fait ceux qui ne sont pas dans un quotidien ordinaire et partagé, il est à noter que Gandalf, contrairement à Saroumane (le Eric Besson des Terres du Milieu qui lui, fera preuve d'indécence ordinaire, commune à nombres des Importants censés représentés et défendre les humbles), garde une existence de vagabond hippie. C'est cette existence qui l'autorise à vivre avec les plus simples individus qui soient. Ce qui ne manque pas de faire de lui le parfait contrevenant à l'usage de l'étiquette, cette vaine parodie guindée de la décence commune.


"Avant votre venue, nous les Sacquet étions très bien vu ici. Aucune aventure d'aucune sorte. Rien d'inattendu ne se passait !" 
Frodon à Gandalf.

Remarquons aussi que les hobbits de Tolkien illustrent parfaitement l'usage politique qu'Orwell imagine faire de la common decency avec un soupçon d'isolationnisme so british.
Car si la décence commune n'empêchera pas les régimes totalitaires imaginés par les architectes du Bonheur enfermés dans leur tour d'ivoire, il faut rappeler combien le conservatisme populaire, qui désespère tous nos futés progressistes, est aussi une inertie propre à freiner l'avènement des nouveaux paradis terrestres totalitaires. Ceux-là même qui sont imaginés par nos intellectuels déconnectés de tout vécu ordinaire dans une idéalisation abstraite de voies vers quelques Enfers pavés de leurs meilleures intentions. Alors que ces intentions seraient battues en brèche confrontées à un principe de réalité et de bon sens que renverrait un quotidien ordinaire, terreau de la décence commune. 

Je ne peux dès lors que me remémorer Frodon ou Bilbon, rêvant d'une vie à fumer de l'herbe à pipe en se délectant des délices que les saisons immuables ont à leur offrir (cette stabilité regrettée par le dicton ô combien populaire : "y a plus de saisons ma bonne dame !").
Pourtant s'ils sont les derniers à vouloir partir au devant de nouveautés aventureuses, ils sont ces petites gens que la corruption maléfique ne peut atteindre (non non et non, Cahuzac n'était pas un hobbit !).
Même lorsque, bien malgré eux, sont chamboulés ces petits bonheurs quotidiens, ils font preuve de courage et savent instinctivement où se situent le mal et le bien. De véritables héros que rien ne prédisposait à transcender la condition huma... hobbit.
Et ils finiront éternellement par préférer à toutes les récompenses de l'héroïsme (l'argent, les filles, la coke ...) un retour à la quiétude de leur vie ordinaire.

"Les Hommes ? Ils sont faibles. La race des Hommes a failli."
Elrond à Gandalf.

Le projet politique d'Orwell ne serait-il pas de faire de nous des hobbits ? Ma foi ça permettrait au moins de faire la nique à Nike ... 

En attendant malheureusement, peu d'hommes résisteraient à l'anneau unique comme Frodon ... ne serait-ce que pour se glisser dans les vestiaires des ...
Non franchement Sauron, t'y avais jamais pensé ?


Ce billet est dédié à mon camarade républicain et tolkieniste Florent et à Milan Kundera au jugement "vraiment moche".